Finalement ce qui nous définit, ça n'a peut être rien à voir avec notre nom, notre adresse. Ça n'a pas d'importance l'endroit d'où l'on vient, la famille qui nous a élevé, ce qu'on était petit. La paperasse finalement, elle ne raconte rien. Mai Lan, australienne, Hill Valley, 20 ans. Ça ne raconte pas la première fois que j'ai dit "papa", ma première chute, mes pleurs qui n'en finissaient pas et mon père qui me prend gentiment dans ses bras si forts mais qu'il utilise tout doucement, pour ne pas trop me serrer. Mes courses avec les papillons, les après-midi d'été dans le jardin, avec mon petit bob si craquant, offert par une tante qui voit en moi la fille qu'elle n'a jamais eu. Le premier regard avec ce petit garçon adorable à la maternelle, qui ne peut détacher ses jolies prunelles océan de mon sourire. Les ballades en vélo avec mon grand frère, qui ne me le dira jamais, mais qui tient à moi plus qu'à tout le reste, et qui tuera le premier qui me fera du mal. Mes éclats de rire quand ma mamie me chatouille, comme une petite fée, on croit entendre un ange. Les jeux avec ce petit cocker, qui aboie toujours joyeusement en me voyant rentrer de l'école tous les soirs, et qui vient me saluer en remuant la queue comme avec personne d'autre. La première fois que j'ai fait du vélo sans roulettes, cette sensation de plénitude et de liberté, "je l'ai fait", ça été dur, j'ai pleuré, je suis tombée, mais je l'ai fait. Ma fierté lors de mes bonnes notes à l'école, mon empressement de le raconter à mon père tout de suite, et attendre de voir le sourire qui veut dire "ma chérie c'est toi la meilleure". Les goûters chez Blake, le mercredi après-midi, en attendant que mes parents rentrent du boulot. Les cours de piscine avec Elisa, la plus géniale des copines, et cette eau toute tiède, ni chaude, ni froide, juste comme il faut. Rentrer chez moi et avoir des courbatures partout mais être satisfaite de moi. Le collège, cette impression de grandir. Les picotements dans l'estomac quand je vois Paul, cette impression que tout s'envole dans ma tête, je cherche quoi dire mais plus rien ne vient. Mes premiers échecs. Maman, j'ai raté mon contrôle. Voir la déception dans ses yeux, encaisser, ne rien dire, mais pleurer toute seule sans bruit le soir dans mon lit, juste après que j'ai fait le dernier bisou à mon frère. Premier trou dans le cœur. Ma chérie mamie n'est plus là. Plus de chatouilles à en pleurer, de tarte tatin qu'on dévore à en avoir mal au ventre, de courses en ville qui n'en finissent pas, de cadeaux sans arrêt, d'un amour presque écrit sur son front. Je ne pleure même pas, je ne peux pas. Je suis vide, comme un petit coquillage échoué sur la plage, desséché par les va et viens de la mer salée. Etre forte, toujours. Sourire à Elisa, mais le dire à Blake. Me faire réconforter un peu, manger des kinder avec elle, mais me sentir toujours aussi vide. Le premier bisou avec Paul. Ce sentiment de n'être née que pour ce moment-là. Moment qui s'arrête, vie suspendue. Paul, Paul, Paul. Les mois passent, Paul a changé. Fin de l'amourette. Disputes avec Elisa. Fin d'une amitié. Lycée. Soirées, bande de copines intrépides, avec qui je fais les 400 coups. Nouvelles meilleures amies. Alcool jusqu'à ne plus savoir compter, embrasser pas mal de garçons, mais penser toujours à Jérémy, qui se fout bien de moi. Mamie me manque. Enfin se trouver dans les bras de Jérémy. Vivre une histoire de cinq ans. Se voir briser le cœur. Ne plus vouloir être amoureuse… Non vraiment, tout ça, ce n'est pas écrit sur sa carte d'identité. C'est tout ce qui manque au papier, les ressentis, les choses qui se passent en nous et qui ne se racontent pas.