Assise en tailleur sur le lit, cela faisait près d’une heure que je regardais Conor faire les cent pas. Non pas que je commençais à avoir froid comme ceci, en sous vêtements, mais c’était un peu le ressenti que j’avais. Me faufilant de l’autre côté du lit afin d’allumer le chauffage à fond, je posais mon regard sur mon client préféré. Il n’était pas comme les autres, il était réellement différent. C’est dans ce genre de moment que vous vous rendez compte qu’il y a un problème. Je tombais amoureuse de lui, comme une idiote, comme une bleue. Alors que je savais pertinemment que je ne pouvais pas me permettre de penser à ça. J’étais une pute, point à la ligne, personne ne voulait de ça, ni maintenant, ni jamais. Faisant volte-face, s’allongeant à mes côtés, il semblait être dans un autre monde. « Aide moi, s’il vous plait. » - « Eh bien, ce n’est pas compliqué, il faut lui dire ce qu’elle attend depuis longtemps, un je t’aime que tu penses réellement. » - « Je… Je t’aime ? » - « Non, pas comme ça, encore. » - « Je t’aime ! » - « Encore. » - « Je t’aime.. Peut être.. ? » Éclatant de rire, je secouais la tête avec une mine désabusée. Ce n’était pas de cette façon qu’il allait réussir à récupérer son ex lui. « Essaye de penser à un truc que t'aimes vraiment dans ce cas là, un gâteau au chocolat, un steak, je ne sais pas. » Lâchais-je après quelques minutes de réflexion, après tout je n’allais pas lui faire une psychanalyse, j’étais déjà incapable de prononcer ces simples mots, alors aider quelqu’un, ça allait se révéler bien plus compliqué que prévu. Esquissant un sourire, il haussa les épaules avant de s’allonger sur le dos, observant le plafond avec un certain intérêt. « Je crois que… Je ne suis plus tout à fait sûr de tout ça.. » - « De votre amour inconditionnel ? » - « Elle reste persuadée que je suis amoureux de quelqu’un d’autre, nous savons tout les deux qu’elle a raison. » Je savais parfaitement de quoi il parlait. Je savais aussi que je ne pouvais pas lui répondre ce que je pensais vraiment. Même si j’en mourrais d’envie. « Tu sais très bien que ce n’est pas possible. » Soudainement, plus de vouvoiement, il fallait vraiment cesser avec cette connerie. « Et pourquoi pas ? Tu pourrais tout arrêter maintenant si tu le voulais, mais t’es une flippée de l’engagement, on se voit depuis six mois, six mois que tu ne vois presque plus personne, je te paye simplement pour être sûr d’être avec toi, tu trouves que c’est une vie ? » Il n’avait pas tort. Pas tort du tout. J’avais peur, de tout, de moi, de sortir de cette pièce et d’oublier tout ce que je pouvais ressentir. C’était un jeu, une pièce de théâtre, comme si tout ça n’était que mon boulot. J’avais dérogé à toutes mes règles en rencontrant Conor. « Je quitte Melbourne, tu le sais très bien. » - « Tu sais que je te suivrais. » - « Allons, tu n’es pas si désespéré. » - « Je t’aime. » - « Là, tu l’a bien dit. »

« Qu’est ce que tu fais là tout seule ? » - « Je suce les glaçons, ça se voit pas ? » Répondis-je ironiquement en brandissant mon verre de whisky avec un grand sourire. Conor ne se fit pas prier avant de me le faire passer sous le nez. « Maintenant c’est à moi. » Secouant la tête, je pris un nouveau verre avant de le remplir abondamment. « D’accord, quel est le problème Addi ? » Demanda-t-il en s’asseyant au bar. Le café restaurant était totalement vide, Wayne était parti depuis prêt de deux heures et moi j’étais toujours là en proie à mes vieux démons. « Tout va bien, mon ex-patron ne ma lâche pas, ça devient vraiment lassant. » Lâchant un soupir qui en disait long, Conor haussa les épaules, il ne devait pas s’attendre à ce genre de réponse. « Il veut te récupérer c'est ça ? » - « Conflit d’intérêt. » Renchéris-je en faisant tinter les glaçons contre mon verre. C’était bien ça le problème, avec cette homme, il y avait sans cesse des conflits d’intérêts, son problème était simple, il n'avait pas digéré le fait que je quitte l'agence, pour lui, personne ne le quittait. Malheureusement, il n’était pas plus respecté qu’un poisson rouge malgré son statut, gros coup pour son ego démesuré. « C’est un connard. » - « Probablement mal baisé. » - « Voir pas baisé de tout. » Souriant au jeune homme, j’haussais les épaules en buvant une gorgée de ce breuvage magique. « Je t’aime beaucoup Addi, mais si tu continues comme ça, je ne dors pas dans ton lit, je ne veux pas que tu abuses de mon merveilleux corps. » - « Dis celui qui abuse sans cesse du mien. » Répondre du tac au tac par l’humour, voilà ce que je savais faire de mieux. Après avoir l’art de tout gâcher bien entendu. Je ne savais pas quoi répondre à ça. Il attendait plus, il attendait ces trois mots magiques que j’étais incapable de formuler. Ce n’était pourtant pas son genre non plus, il se disait être fou depuis qu’il m’avait rencontrée, ça devait être ça, je l’avais rendu encore plus barge qu’il ne l’avait jamais été. Finissant son verre d’une traite, il m’embrassa timidement sur le front avant de faire volte face. « Au fait, je suis désolé… Pour hier soir, je ne voulais pas te faire peur. » - « Tu avais raison Conor, parfois il faut me secouer, je ne vais pas t’en vouloir pour ça. » Cela dit, il y avait secouer et apeurer, mais le jour ou j’aurais peur de lui n’était pas encore arrivé.

« Si t’arrivais à matérialiser ce que je pense, un parpaing te tomberait sur le coin de la tronche là, de suite. » - « Mais pourquoi tant de haine ? » - « Parce que tu me gonfles. » Conor fit mine d’être victime d’un arrêt cardiaque, plaquant sa main contre son cœur, il se laissa soudainement tomber sur le canapé. « T’es vraiment con. » Passant dans la cuisine pour me faire un café, j’esquissais un sourire en le voyant se relever immédiatement. « Je suis en train de mourir là quand même ! » - « En silence je te prie. » - « T’es vilaine. » Il n’avait pas tort sur ce point. Cela dit, je pense que j’avais été assez patiente, il avait été intenable durant deux jours. Pour le coup, j’avais fais un remixe à moi toute seule de l’armée des morts vivants toute la journée. « Tu me fatigues Conor. » Geindre avait été le seul moyen que j’avais trouvé pour qu’il me laisse un peu de répit. Je ne comprenais pas son engouement soudain à mon égard, ça n’avait jamais été le genre du jeune homme à rester auprès de moi. En règle générale, il savait que je n'étais pas à l'aise avec tout ça. Non pas que j’étais du genre névrosée - quoique ça se discute – simplement, les sentiments et moi, ça faisait deux. J’avais toujours été une handicapée sentimentale, ce n’était une nouveauté pour personne. « T’as personne à aller voir là ? » - « Hm, t’es jalouse ? » - « Pas du tout. » - « Si, je le vois. » - « C’était qui la gonzesse de l’autre fois ? » - « Putain mais je rêve, t’es vraiment jalouse là ! » - « Oh ta gueule. » Moi, jalouse, laissez moi rire. Ce n’était pas mon genre du tout. Du moins pas face à lui, en aparté, je ne promettais rien mais pas avec lui, ça lui aurait fait beaucoup trop plaisir. Le problème avec Conor, c’est que vous ne pouvez jamais rien dire sans qu’il le retourne contre vous à un moment ou à un autre. C’est pathologique je crois. « Non mais avoue, t’as envie de la tuer depuis que tu l’a vue avec moi au café. » - « Crève. » - « Tu m’aimes, je le sais. » - « N’inverse pas les rôles mon chéri. » Le jeune homme avait quitté son canapé et était accoudé au bar, m’observant quelques instants je vis son sourire s’effacer en trois secondes. « En fait, tu ne l’avoueras jamais. » - « De quoi ? » - « Tu sais très bien de quoi. » - « J’vois pas de quoi tu parles. » - « Il suffirait que tu me le dises pour que tout change et ça aussi tu le sais. » Posant ma tasse de café avec un plus de vigueur que prévu, je plongeais mon regard dans le sien. « Ça t’arrangerait bien que je me ridiculise n’est-ce pas ? » - « C’est faux. » - « Oh arrête, ça fait des mois qu’on est comme ça, tu t’es jamais plaint, pourquoi tu te réveilles maintenant ? » - « Parce que. » - « J’attends un peu plus comme réponse. » - « Parce que… Je.. » Il se stoppa, comme si quelque chose l’empêchait de continuer sa phrase. Poussant un soupir, je secouais la tête dépitée. « Laisse couler va, j’vais me coucher. » Lâchais-je en sortant de la cuisine. Je ne voyais même pas pourquoi je m’entêtais dans cette relation qui était, de toute évidence, vouée à l’échec. J’avais le chic pour ça, c’était l’une des histoires de ma vie. J’avais tout pour être heureuse. Sauf lui.